LAYLA ELOUIZI
Où l’on est avec l’éducation des filles rurales au Maroc ? Si l’on se pose toujours une telle question, c’est parce qu’il reste un grand pan à combler en la matière. Certes, le Maroc est considéré comme l’un des pays qui a pris des mesures importantes, beaucoup de chemin reste à parcourir…
En général, les données statistiques relatives à la scolarisation sont en hausse, mais celles de l’éducation des filles rurales avancent plutôt au ralenti et le bilan est en soi mitigé. Les mentalités n’arrivent toujours pas à changer de réflexes. Les stéréotypes d’antan font de l’ombre aux programmes de développement et aux initiatives mises en place pour améliorer les conditions structurelles.
Stimuler l’agriculture, promouvoir l’accès à l’éducation et aux services de santé et encourager l’entrepreneuriat rural sont autant de mesures importantes certes, mais qui démontrent également leurs limites lors des visites et enquêtes de terrain. Des filles à l’âge de scolarisation dans les camps, en train de ramener de l’eau sur les baudets, en responsabilité de ménages, voire même mères d’enfants multiples ! A qui la faute ?
« Comment peut-on envoyer nos filles à l’école, alors que le chemin y menant dure presque une heure, avec un risque pas évident à supporter ni à prendre », déclare Mohamed, paysan de Douar Bablouta (dans la province de taza), qui n’a d’autres revenus que ce qu’il gagne de son terrain exigu. Et d’ajouter que « la sécheresse et les dettes ne nous permettent plus de joindre les deux bouts, d’où la difficulté d’envoyer nos filles aux collèges, notamment ».
Une grande partie des familles rurales poussent leurs filles à abandonner leurs études après la sixième année, soit la dernière année du scolaire, où les enfants sont toujours chez eux. Mais une fois, le collège appelle, les parents qui acceptent souvent le départ des garçons, refusent d’autoriser leurs filles à faire de même. Un destin fatal s’impose et les filles, encore enfants, se trouvent désormais dans l’attente d’un premier venu…
Le mariage des mineurs intervient comme conséquence logique d’une telle situation. Car ces filles se trouvent plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé liées à la grossesse et l’accouchement ainsi que d’être victimes de violences domestiques, physiques, psychologiques et sexuelles, de la part de non seulement le mari mais aussi de la belle-famille…
Par ailleurs, en offrant des opportunités économiques et en améliorant l’accès aux services de base, tels que l’éducation et la santé, les programmes de développement rural
peuvent aider à créer des conditions propices pour changer de mentalité, faire face aux stéréotypes et penser à l’avenir des filles. Cela ne peut qu’aider également à la croissance économique du pays. Sans cela, l’exode rural resterait la seule voie possible, et les filles ne trouvent pas non plus un bon sort, puisqu’elles sont poussées à d’autres pistes impitoyables.
Il suffit de penser aujourd’hui au rôle joué par les femmes rurales dans le développement agricole et la sécurité alimentaire au Maroc, pour se rendre compte de l’importance des politiques publiques à même de pallier cet enrôlement des femmes dans des rôles traditionnels classiques et obsolètes.
L’éducation des filles rurales passe donc par des programmes intenses et volontaires d’autonomisation des femmes rurales, question d’une importance capitale pour le développement rural au Maroc. Une voie qui fera barrière devant de nombreux défis, notamment en termes d’accès aux ressources, d’accès à l’éducation, mais aussi contre la discrimination sociale et économique.
Les normes restrictives de genre sont souvent à l’origine de ces obstacles. Dans de nombreuses communautés rurales marocaines, les rôles traditionnels assignés aux filles impliquent souvent de rester à la maison pour s’occuper des tâches domestiques, tandis que les garçons sont encouragés à poursuivre leurs études. La division traditionnelle des rôles au sein des ménages ruraux assigne souvent aux filles la responsabilité de la gestion du foyer, dès leur jeune âge…
Cela limite leur temps et leur énergie disponibles pour les études, la formation et d’autres activités qui pourraient contribuer à leur émancipation. Cette répartition inégale en fonction du genre non seulement renforce les stéréotypes mais aussi limite le potentiel de développement personnel des filles, ce qui entraine de terribles conséquences sur leurs avenirs et aussi sur celui de leurs communautés.
Meryem, 17 ans , vit au Douar de Bablouta, (dans la province de Taza) affirme : « J’ai dû arrêter l’école à l’âge de 12 ans, c’était normal pour moi et je n’ai jamais vraiment remis en question cela….Toutes les femmes de mon entourage n’y sont jamais allées, où elles ont au meilleur des cas rompu après la sixième année… Mon rêve c’était de me marier, avoir des enfants et m’occuper de mon foyer… ».
Un tel témoignage, de la part de cette mère-enfant met en lumière plusieurs aspects importants et dont on ne parle pas assez, l’absence de scolarisation des filles de son entourage a renforcé l’idée que le mariage et la maternité représentent les seules options légitimes pour les femmes dans ce contexte. Cela reflète l’influence des normes patriarcales sur les aspirations et les choix de vie de nombreuses femmes rurales.
Ahmed, 42 ans et père de Meryem, a quant lui une autre version des faits et développe une réflexion qui montre le chemin que les efforts doivent couvrir. « L’école n’est pas la place d’une fille comme la mienne, nous sommes une famille pauvre, et nous n’avons pas les moyens de scolariser autant d’enfants, d’où mon choix de garder les filles et de ne scolariser que les garçons » affirme-t-il.
Il ajoute, en plus, que « le départ au village voisin pour continuer ses études allait lui coûter cher, avec les mauvaises influences, et elle risquerait de perdre ses valeurs et de s’éloigner du droit chemin… ».
Ce n’est donc que le reflet de nombreuses opinions qui partagent une vision assez traditionnelle sur le rôle des femmes dans la société. Pour eux, et qu’ils le disent ou non, la place de la femme est dans sa sphère domestique, où elle doit d’occuper de son mari, de ses enfants et des tâches ménagères. Ces idées peuvent aller jusqu’à penser que l’éducation des filles est une menace aux traditions et aux valeurs religieuses et culturelles.
Agée de 19 ans, Rachida qui est actuellement étudiante à la faculté des droits à Fès, a réussi à s’en sortir des dédales de ce sort pitoyable que lamentable. Elle affirme, en effet, que : « ce n’était pas facile. Je rêvais toujours de devenir enseignante comme ma cousine Zineb… Le trajet entre ma maison et l’école était loin et parfois même dangereux, que mon père m’accompagnait souvent, notamment lorsqu’on devait se lever très tôt en hiver ». « Ma source d’inspiration principale était ma cousine Zineb qui venait nous rendre visite de temps à autre. Mes parents l’admiraient, tellement qu’ils m’ont encouragé à suivre ses traces », dit-elle.
Les « inspirational » stories, comme celle de Rachida, continuent de fleurir dans les campagnes marocaines, certes, mais l’état des lieux dévoile toujours un rythme assez lent, ce qui nécessite des interventions diverses qui marient entre aspects sociaux, aspects économiques et aspects de sensibilisation. Malheureusement, le chemin pour que toutes les filles du monde rural soient durablement scolarisées est toujours long à parcourir…